Chlordécone

Chlordécone aux Antilles : les risques liés à l’exposition alimentaire

Le chlordécone, pesticide pouvant entraîner des risques pour la santé humaine, a été utilisé dans les bananeraies des Antilles jusqu'en 1993. Très persistant, il a contaminé durablement les sols et l'eau, et impacte encore aujourd'hui les cultures et les productions animales. L'Anses s'implique depuis le début des années 2000 pour améliorer les connaissances sur l'exposition des populations antillaises à ce contaminant et aux risques sanitaires associés. Elle a notamment formulé des recommandations sur la consommation des aliments issus des productions locales.

Qu’est-ce que le chlordécone et quels sont ses effets ?

Le chlordécone est un pesticide qui a été utilisé dans les bananeraies de la Martinique et de la Guadeloupe de 1972 à 1993 pour lutter contre le charançon du bananier, un insecte ravageur pour ces cultures.

C’est une substance toxique pour l’Homme. Des études toxicologiques sur modèle animal et des études épidémiologiques ont pu montrer des effets néfastes sur le système nerveux, la reproduction, le système hormonal et le fonctionnement de certains organes (foie, rein, cœur, etc.). L’expertise Inserm pesticides et santé publiée en 2021 a conclu à la présomption forte d’un lien entre l’exposition au chlordécone de la population générale et le risque de survenue de cancer de la prostate.

Utilisé durant vingt ans, le chlordécone a entraîné une pollution des sols, de l’eau des rivières et du milieu marin proche des secteurs où il a été utilisé. Il peut ainsi être retrouvé dans certaines denrées végétales ou animales, ainsi que dans les eaux des sources ne faisant pas l’objet d’un traitement par charbon actif. De nombreux aliments locaux, principalement les légumes racines, les poissons et crustacés, les œufs issus de poulaillers de particuliers peuvent être contaminés, surtout dans certaines zones réputées contaminées du fait de la présence ancienne de bananeraies.

Le chlordécone n’a pas été trouvé dans l’air lors de la campagne nationale exploratoire de mesure de pesticides dans l’air. La voie alimentaire demeure donc à ce jour la principale voie d’exposition pour les populations guadeloupéennes et martiniquaises.

Quelles sont les populations exposées au chlordécone aux Antilles ?

Dans la population générale, le chlordécone a été détecté chez plus de 90 % des individus dans le cadre de l’étude Kannari mise en œuvre par l’Anses et Santé publique France en 2013-2014. De plus, la grande majorité des travailleurs agricoles de la banane aux Antilles a été exposée au chlordécone à l’époque où ce pesticide était utilisé (77 % en 1989). Selon Santé Publique France (2018) et depuis 2003, on observe une diminution de l’imprégnation par le chlordécone pour la majorité de la population, mais le niveau des personnes les plus exposées ne diminue pas.

Selon l’étude Kannari, les populations les plus exposées au chlordécone sont :

  • De manière générale, les personnes résidant dans des zones réputées contaminées ;
  • les consommateurs de poissons d’eau douce, de produits de la mer issus de la pêche amateur et des circuits informels,
  • les consommateurs de volailles et d’œufs issus d’élevages domestiques en zone réputée contaminée
  • les consommateurs de légumes racines et tubercules issus des jardins familiaux en zone réputée contaminée.

L’étude Kannari notamment s’est basée sur les résultats d'enquêtes et d'études sur les habitudes locales de consommation alimentaire, sur les niveaux de contamination des aliments ainsi que sur l’ensemble des données scientifiques disponibles.

Qu’est-ce que la chlordéconémie ?

C’est la concentration de chlordécone mesurée dans le sang à un instant donné.

La valeur de ce dosage traduit une exposition récente à la chlordécone ou pouvant avoir eu lieu au cours des dernières années.

La présence de chlordécone dans le sang ne signifie pas que vous êtes ou risquez d’être malade. Cela témoigne d’une exposition au chlordécone. Des actions pour diminuer cette exposition sont nécessaires, surtout si le niveau mesuré excède les valeurs-seuils de risques.

Pour connaître les risques associés à l’exposition au chlordécone, d’autres paramètres sont à prendre en compte comme la durée, le niveau ou encore la source de l’exposition.

Comment l’Anses évalue-t-elle les risques liés à l’exposition au chlordécone par l’alimentation ?

Depuis de nombreuses années, l’Anses est engagée dans l'évaluation du risque lié au chlordécone pour la population antillaise.

Afin d’estimer les niveaux de risques liés à l’exposition au chlordécone, l’Anses a élaboré des valeurs toxicologiques de référence et des limites maximales de résidus dans les aliments.

Suite à la publication de nouvelles études scientifiques, l’Agence a proposé en 2021 de nouvelles valeurs toxicologiques de références (VTR) plus protectrices.

  • La valeur toxicologique de référence chronique externe 

C’est la quantité de chlordécone ingérée quotidiennement via l’alimentation sur une longue période en dessous de laquelle le risque d’apparition d’effets néfastes dans la population est jugé négligeable. Cette valeur est définie sur la base des études toxicologiques et épidémiologiques.

En 2021, l’Anses a recommandé d’abaisser la VTR externe de 0,5 à 0,17 µg par kilo de poids corporel et par jour. Cette nouvelle VTR prend en compte notamment les dernières études suggérant des effets toxiques pour la reproduction chez les rongeurs exposés à des doses modérées de chlordécone.

  • La valeur toxicologique de référence chronique interne

Il s’agit de la concentration de chlordécone dans le sang  en dessous de laquelle, sur une longue période, le risque d’apparition d’effets néfastes dans la population est jugé négligeable. Comme pour la VTR chronique externe, si cette valeur est dépassée durablement, il n’est pas possible d’écarter un risque d’apparition d’effets néfastes dans la population. On utilise cette valeur pour interpréter les campagnes de mesures d’imprégnation de la population. La VTR interne a été fixée à 0,4 µg de chlordécone par litre de plasma. L’Anses rappelle que la VTR chronique interne n’est en aucun cas un indicateur de l’état de santé d’une personne et ne peut donc pas être utilisée pour interpréter un dosage de chlordéconémie ou pour piloter le suivi médical d’un individu.

Ces VTR sont des outils qui permettent d’analyser les données d’exposition alimentaire et d’imprégnation des populations. Elles permettent d’estimer la part de la population qui est surexposée, et d’identifier les profils de consommation à risques c’est-à-dire les personnes qui, du fait de leurs habitudes alimentaires, présentent des expositions au chlordécone trop élevées. Cela est utile pour savoir quels sont les aliments les plus problématiques, ceux qui contribuent le plus aux expositions élevées, et donc ceux pour lesquels une attention particulière est nécessaire.

Quels sont les risques liés à l’exposition au chlordécone ?

Sur la base des nouvelles valeurs toxicologiques de référence (VTR) de 2021, l’Anses a réalisé une nouvelle évaluation de risques fin 2022.

Les experts ont comparé les VTR aux données de chlordéconémie (concentration de chlordécone dans le sang) et d’exposition par voie alimentaire issues de l’étude Kannari (2013-2014). Il en ressort qu’une partie de la population antillaise présente un risque de dépassement des valeurs toxicologiques de référence au chlordécone.

Parmi les 95 % de la population adulte guadeloupéenne et les 92 % de la population martiniquaise présentant des chlordéconémies dépassant la limite de détection (0,02 µg L-1), 14 % des guadeloupéens et 25 % des martiniquais présentent des concentrations supérieures à la VTR chronique interne. Il est donc nécessaire de renforcer les efforts pour diminuer les expositions des populations.

En 2023, Santé Publique France a lancé la seconde édition de l’étude Kannari (Kannari 2) afin de mesurer l’imprégnation des populations adultes et infantiles en Martinique et en Guadeloupe au chlordécone et à d’autres polluants environnementaux.

Comment limiter l’exposition au chlordécone par l’alimentation ?

La consommation de certains produits alimentaires provenant des circuits informels (autoproduction, dons, bords de route) contribue, en général, à une exposition supérieure à celle liée aux modes d’approvisionnement en circuits contrôlés (grandes et moyennes surfaces, marchés, épiceries).

L’Anses a donc émis les recommandations suivantes pour limiter l’exposition au chlordécone par voie alimentaire :

  • Limiter à 4 fois par semaine la consommation de produits de la pêche en provenance des circuits courts (pêche de loisir, de subsistance ou achat sur le bord des routes).
  • Ne pas consommer de produits de pêche en eau douce issus des zones d’interdiction de pêche définies par arrêté préfectoral.
  • Limiter à 2 fois par semaine la consommation de racines et de tubercules issus des jardins familiaux en zone réputée contaminée. Tous les fruits issus des jardins familiaux peuvent par ailleurs être consommés sans limite.

Dans sa dernière expertise, l’Anses conclut que le respect de l’ensemble de ces 3 recommandations reste un levier efficace pour réduire le risque pour la santé des populations, des recommandations qui s’intègrent bien dans la culture alimentaire antillaise. D’ailleurs, les ¾ des antillais les respectent déjà.

Par ailleurs, l’Anses souligne l’importance de limiter la contamination des aliments produits dans son jardin, et surtout celle des œufs. Pour cela, elle recommande de renforcer l’adhésion et le recours aux programmes jardins familiaux JAFA pilotés par les agences régionales de santé. Grâce à ce programme, il est possible de réaliser des analyses gratuites pour vérifier la concentration en chlordécone du sol et depuis 2023 celles des denrées alimentaires dont les oeufs. Ces analyses sont utilisées pour fournir des conseils personnalisés sur les pratiques d’élevage adaptés aux jardins familiaux. Isoler le plus possible les animaux des sols pollués et les nourrir avec des aliments non contaminés font partie des pratiques à privilégier.

Etude ChlorExpo

L’Anses a lancé début 2021, l’étude ChlorExpo sur l’exposition alimentaire au chlordécone de la population antillaise. Elle vise notamment à prendre en compte les pratiques d’approvisionnement, de préparation et de cuisson des aliments de la population antillaise. De nouvelles recommandations pratiques pour limiter les expositions, basées notamment sur les modes de préparation et de cuisson des aliments, pourraient ainsi être émises en complément de celles présentées ici. Les résultats de l’étude sont prévus pour 2025. 

Des travaux de recherche spécifiques sur le chlordécone

Impliqué dans la mise en œuvre de l’étude ChlorExpo, le laboratoire de sécurité des aliments de l’Anses mène aussi différents travaux de recherche sur le chlordécone. Ces dernières années, il s’est penché sur la répartition de la molécule dans les tissus des bovins (muscle, graisse, foie, sérum sanguin) et sur la mise au point de nouvelles méthodes de dosage chez les animaux. Le laboratoire développe par ailleurs de nouveaux procédés d’analyse pour détecter et mesurer plus rapidement le taux de chlordécone chez les animaux de rente avant leur abattage.

De plus, les chercheurs de l’Anses ont étudié les effets de différents procédés de préparation de la viande et des abats sur la contamination en chlordécone. Ils approfondissent actuellement les effets des cuissons avec notamment un travail spécifique sur la cuisson par micro-ondes qui pourraient réduire la présence de chlordécone dans les aliments d’origine animale, dans le cadre du projet AlimOmic.

Par ailleurs, les effets du chlordécone sur la santé humaine mobilisent également les chercheurs de l’Anses. En collaboration avec le laboratoire de sécurité des aliments, l’équipe du laboratoire de l’Anses de Lyon spécialisée dans l’étude des maladies neurodégénératives mène ainsi des travaux de recherche sur les effets du chlordécone sur le cerveau.

Quel lien entre expositions professionnelles au chlordécone et cancer de la prostate ?

Dans le cadre de sa mission d’expertise sur les maladies professionnelles, l’Agence a étudié les liens entre l’exposition aux pesticides, incluant le chlordécone, et le cancer de la prostate. Elle a conclu en juillet 2021 à une relation causale probable entre chlordécone et risque de cancer de la prostate. Cette conclusion se base principalement sur les résultats de l’étude Karuprostate et des données toxicologiques et mécanistiques démontrant le rôle plausible du chlordécone dans le processus de cancérogénèse de la prostate.

Suite à son expertise, un tableau de maladie professionnelle a été créé au régime agricole de la sécurité sociale relatif au cancer de la prostate en lien avec l’exposition aux pesticides. Ce tableau permet de reconnaître comme maladie professionnelle les cancers de la prostate liés à l’exposition au chlordécone.

 

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RCCP-Ra-chlordecone
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10/12/2003
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